Le portrait de Théodore de Liedekerke réalisé par le jeune avocat Henri Lemaître
 ©Namur, coll. Fondation Société archéologique de Namur, inv. D-0690.

Elise
Ce portrait de fillette également signé par Henri Lemaître est emprunt de nettement plus d’humanité et de douceur.

Souvenez-vous. Dans le n° 108 de Côté Jambes, nous avions relaté l’assassinat de mesdemoiselles Arnoldine (36 ans) et Hyacinthe (34 ans) par leur jeune frère, Théodore de Liedekerke au château de Géronsart dans la soirée du 20 mars 1847.

Au lendemain du double meurtre, les journaux s’étaient saisis du fait-divers, appliquant dans leur rédaction les schémas habituels de ce genre d’articles, à savoir donner une foule de détails sur le ton de la narration, opposer au maximum les traits de caractère des protagonistes, et donner de la cohérence. Les auteurs cherchent les motifs du crime, ou du moins les supposent. En l’occurrence, ils emploient sciemment les termes « folie parfois furieuse », « insensé » « l’œil hagard », « folle imagination », « malheureux fou » etc. et posent ainsi une étiquette rassurante car simpliste sur les actes de Théodore de Liedekerke, 28 ans : celui-ci est atteint de folie. Le double crime est donc enfermé dans un réseau d’explications et de justifications déjà connues des lecteurs et étrangères à l’événement.

À travers la lecture de l’article intitulé Monomanie – Fanatisme religieux – Fratricide, publié dans la Revue médico-légale des journaux judiciaires (janvier-février-mars 1847), on constate que Lunier, médecin, s’est basé, pour déterminer les causes du double meurtre, sur la relation des faits par L’Ami de l’Ordre, une pratique biaisée bien que courante dans la première moitié du 19e siècle qui voit la naissance de la psychiatrie.

La notion de monomanie voit le jour en 1805 et se rapporte à une folie partielle qui concilie altération de la volonté et conscience. En matière de criminalité, la frontière entre le normal et le pathologique s’estompe alors, et le crime devient le signe d’une pathologie qui nécessiterait que les magistrats suivent l’avis des médecins. Si le discours délirant reste dans la première moitié du 19e siècle suspect de simulation, les signes physiques de la maladie sont considérés comme plus fiables (œil hagard, fixe ou mobile, traits décomposés, coloration « typique » du visage, gestes répétitifs) tant dans le discours des témoins que de celui des médecins, qui tiennent également compte des actes extravagants, des crises de fureur, de l’épilepsie ou encore des antécédents.

Il semblerait que personne n’échappe à cette construction de l’image de la folie. Le portrait de Théodore de Liedekerke, tout récemment inventorié  dans les collections de la Fondation Société archéologique de Namur, a été réalisé par l’avocat Henri Lemaître (1822-1904) dans le Cabinet du Juge d’instruction de Namur. Il donne à voir un homme répondant aux critères physiques typiques de la folie, et est par ailleurs annoté au revers de la phrase : « Puisse ce malheureux, que l’on doit plaindre hélas, ne jamais recouvrer la raison qu’il n’a pas »…

Fiona Lebecque,
Présidente-Conservatrice
du Centre d’Archéologie,
d’Art et d’Histoire de Jambes

Note :

  1. Ces pages complètent l’article « Drame au château ». Les ouvrages et articles suivants les ont inspirées : L. Gonon, Le fait-divers criminel dans la presse quotidienne française du 19e siècle, Paris, 2012 ; C. Giraud, La Monomane de l’envie, Géricault, dans Deuxième temps, revue numérique d’histoire de l’art, 19 septembre 2017 ; P.-A. Raoult, Figures de la dangerosité : de la monomanie au tueur en série, dans Bulletin de psychologie, 2006/1, pp. 31-39 ; L. Guignard, Discerner la folie des criminels au 19e siècle. Le recours à l’expert, dans Hypothèse, 2000/1, pp. 95-102.