Extrait tiré des Voyages
d’Alfred Nicolas, II, p. 158.7

Mais Monsieur Jurard
N’eut point tant d’égard.
Le monsieur Jurard
Ayant à refaire
Son chétif hangard.
Eut besoin naguère
De quinze à vingt pierres.
Il prend un marteau,
Il prend un ciseau,
Et notre honorable,
Plus fier qu’un héros,
Va mettre en morceaux
La pierre du diable
Maudit abatteur,
Maudit abîmeur
A mettre à la porte ;
Maudit morcelleur,
Maudit marteleur
Le diable t’emporte.

La Maison de la Pierre du Diable connue de tous les Jambois et située au n° 404 de la Rue de Dave tire son nom d’un dolmen (en breton dol : table ; men : pierre) datant du IIIe millénaire avant J.-C. Ce mégalithe préhistorique est exceptionnel car il représente un des témoignages les plus méridionaux de la « culture des gobelets à entonnoirs »1. Il fut détruit en 1820 par le propriétaire de la maison construite à proximité en 17372, un certain Monsieur Jurard ou Gérard qui avait urgemment besoin de pierres pour consolider sa grange3.

Au cours de son existence, le dolmen se vit affubler de divers noms. On en trouve une première mention en 1273 dans le testament de Nicolas de Jambes dit de Bouges, qui le désigne sous la mention de « pierre »4. Plus tard, on trouve le nom de « Pierre de Brunehaut ». Au Moyen Âge, on ne pouvait croire que le réseau routier fût mis en place par les Romains et on en attribuait la réalisation à des êtres surnaturels ou des personnalités célèbres. Dans nos régions, ce serait la Reine Brunehaut, magicienne qui, en une nuit, aurait fait construire les routes et monuments importants, dont le dolmen qui serait sa sépulture5.

Vers 1740, le dolmen se voit attribuer le nom de « Pierre du Diable ». Ce sobriquet vient de la légende racontée par le chapelain namurois J. Dupont en 1694 : saint Materne aurait converti les locaux après avoir retiré la statuette du dieu païen Nam du dolmen qui lui servait d’autel et qui sera dorénavant appelé « la pierre du Diable à raison des sacrifices que l’on soupçonne y avoir été offerts au démon »6. Ce rattachement avec la légende se marque par l’adjonction au dolmen d’une chapelle dédiée à saint Materne qui lui survit 60 ans avant d’être détruite par un ouragan en 1880.

La maison d’aujourd’hui présente d’autres éléments intéressants. Sur sa façade, on trouve une pierre de 1798 blasonnée aux armes d’Espagne et surmontée d’une couronne qui aurait été martelée par des révolutionnaires français de passage dans nos régions8. On retrouve également un bas-relief représentant deux nymphes sortant de l’eau un cor à la main, encadrant un Christ bénissant. On observe aussi une croix sur une pierre encastrée dans le mur arrière. Ces éléments montrent que les anciens propriétaires, dignes héritiers de Jurard/Gérard, n’ont pas hésité à se servir de pierres tombales des cimetières avoisinants pour la construction de leur maison6, seule survivance du dolmen d’où elle tire son nom.

Thomas Leblanc

Note :

  1. Huysecom, E., Le dolmen de Jambes, dans ASAN, t. 62, 1982, pp. 61-62.
  2. Schuermans, H., La pierre du Diable. A Jambes, lez-Namur, dans Bulletin des commissions royales d’art et d’archéologie, t. VIII, 1869, p. 20.
  3. Douschamps-Lefèvre, C., La commune de Jambes de 1795-1977. Les grands traits d’une constante expansion, Jambes, CAAHJ, 2008, p. 25.
  4. Borgnet, J., Deux testaments namurois, dans Annalectes pour servir à l’Histoire ecclésiastique de la Belgique, t. VII, 1870, p. 493.
  5. Rousseaux, F., Légendes et Coutumes en Pays de Namur, vol. II, Bruxelles, Commission Royale Belge du Folklore, 1971, pp. 22-23.
  6. Anonyme, Essai sur l’histoire de Namur par un Namurois, vers 1740, p. 11.
  7. Grandgagnage, F.-Ch.-J., Voyages et aventures de M. Alfred Nicolas au Royaume de Belgique, t. 2, p. 158.
  8. Badot, C., Jambes autrefois… et aujourd’hui, Namur, Editions Mosanes, 1948, p. 39.
  9. Chainiaux-Garny, C., L’ensemble mégalithique de Velaine, Namur, Syndicat d’Initiative de Jambes, 1975, pp. 45-48.