Page 17 - Côté Jambes 108-109 - 2020
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ART & PATRIMOINE restés au château de Géronsart, il a été conduit dans
sa voiture à la prison de Namur où il a été écroué.
Drame au château 1 Plus tard, il a été reconduit avec les précautions
convenables de la prison au château, près des
cadavres de ses deux sœurs ; un témoin de cette
Soirée du samedi 20 mars 1847 scène de désolation nous rapporte que le meurtrier
avait l’œil hagard et furieux, le ton décidé.
Mademoiselle Arnoldine (36 ans) et mademoiselle L’Eclaireur de Namur du 21 mars relate l’événement : Il a déclaré reconnaître ses deux victimes en disant :
Hyacinthe (34 ans) sont assassinées par leur jeune « Un malheur épouvantable vient de jeter la « voici Arnoldine et voilà Hyacinthe ». Il a ajouté « qu’il
frère, Théodore de Liedekerke, 28 ans, au château consternation dans la commune de Jambe et avait le droit de tuer ses sœurs parce qu’il était
de Géronsart . 2 met toute notre ville en émoi. Le jeune comte de contrarié par elles dans ses croyances religieuses Arnoldine et Hyacinthe de Liedekerke.
et qu’il avait lu dans la Bible qu’on pouvait se défaire
Les journaux s’emparent immédiatement du Liedekerke qui, depuis longtemps était atteint d’une de ceux qui sont un obstacle à notre salut ». [J’ai, Coll. Fondation SAN, D-0387.
dramatique sujet. folie parfois furieuse, se dirigea hier à sept heures dit-il, surpris mes sœurs à adorer des idoles, et je sa prise en charge serait un coût pour la société et
Partout on vente les qualités des deux comtesses : du soir, vers le Calvaire, qui se trouve à proximité les ai tuées ; puis il cite le Deutéronome, à l’appui de qu’il est par conséquent plus simple de le laisser
« Personnes accomplies, distinguées par leur du château de Géronsart, et où les deux sœurs cette folle imagination, et dit qu’il fait profession de faire. Que par contre s’il est riche, il faut respecter
étaient allées prier [comme tous les soirs, à l’heure
éducation, par leur cœur, par leur esprit autant que accoutumée, l’une et l’autre à genoux et plongées la religion de Moïse. Il ne manifeste aucun regret. les exigences de la famille. Ce qui semble avoir été le
par leur naissance, elles étaient entourées d’un 5 Il recommencerait si c’était à faire ; c’est un devoir cas dans le présent drame : « Devenues orphelines,
respect et d’une considération sans bornes… », dans la contemplation religieuse ]. Il s’approcha de tuer les idolâtres. Dans le trajet du château à la les deux sœurs de Liedekerke vivaient dans leur
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d’elles, et fit feu sur l’aînée, qui tomba raide
« Elles avaient hérité de leurs parents cette prison, il n’a cessé de se livrer à des dissertations château retirées du monde, et s’étaient dévouées
charité devenue proverbiale, qui distinguait leur morte. La seconde vola au secours de sa sœur, en historiques incohérentes. Le délire furieux paraît toutes entières au malheureux insensé qu’elles ne
demandant grâce au malheureux fou ; mais aussitôt
noble maison. Depuis la mort bien regrettable et elle reçut elle-même un coup de feu qui lui traversa l’avoir abandonné momentanément, mais toutes ses voulaient pas quitter malgré l’avis des médecins.
encore toute récente de leur père et de leur mère, paroles attestent la folie ]. L’auteur de conclure qu’elles sont mortes de leur
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ces vertueuses demoiselles étaient devenues la le corps, sans occasionner toutefois, comme à sa Le malheureux fou (car en attendant que la justice admirable conduite et de s’interroger si de pareils faits
sœur, une mort instantanée. Le comte s’apercevant
providence des malheureux ». ne démontrent pas que l’administration devrait parfois
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des pénibles efforts de son agonie, rechargea alors prononce, l’humanité nous commande de ne pas le
son fusil, et comme par un sentiment de la plus qualifier autrement), a passé, comme de juste, la nuit résister au désir des parents de conserver auprès d’eux
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cruelle générosité, lui lâcha un second coup dont dernière dans la prison de notre ville. » de malheureux aliénés ».
elle expira. Dans le Bulletin de la Société de Médecine de Gand, on Ajoutons que Théodore de Liedekerke a été reconnu
Les cadavres furent rapportés au château par s’émeut, mais ne s’étonne pas de cette affaire. Car atteint de monomanie furieuse et enfermé dans une
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des paysans qui se trouvaient dans la campagne, « l’abandon des aliénés est un caractère local, un type maison de santé .
et le jeune comte quitta tranquillement le lieu de notre nationalité. La Belgique est une marâtre qui
de son double meurtre, en annonçant qu’il allait répudie ses enfants que sa civilisation progressive Fiona Lebecque,
recommencer ses horreurs sur d’autres membres plonge dans la plus grande des infortunes. Il n’est Présidente-Conservatrice
de sa famille. Un chien, qui l’accompagnait, est point chez nous de protection réelle pour les du Centre d'Archéologie,
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revenu la nuit au château. [On croyait d’abord que aliénés ». Et de poursuivre que si l’aliéné est pauvre, d'Art et d'Histoire de Jambes
le malheureux incensé avait mis fin à ses jours par
un suicide ]. Notes :
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MM. le substitut du procureur du roi, le juge 1. Une lithographie conservée dans les collections la Société archéologique de Namur (inv. D-0387) a attiré
d’instruction, le juge de paix du canton de Namur, un l’attention de Maïwenn Barral, jeune bénévole travaillant aux inventaires. Il s’agissait du portrait mortuaire de deux
médecin de notre garnison, ainsi que la gendarmerie femmes. Ensemble, nous avons cherché à en savoir plus à leur propos.
2. Marie-Augusta de Gavre-de Liedekerke (seule héritière), Arnoldine de Gavre-de Liedekerke (1811-1847),
se sont transportés immédiatement au château et y Hyacinthe de Gavre-de Liedekerke (1813-1847) et Théodore de Gavre-de Liedekerke sont les enfants de Charles-
sont restés assez avant dans la soirée ». Alexandre Joseph de Gavre-de Liedekerke (décédé le 26/04/1846) et de Félicité-Gabrielle Charlotte Cécile de Tornaco
L’Eclaireur de Namur du 22 mars ajoute les détails (décédée le 06/12/1846).
suivants : « Le jeune comte de Liedekerke qui était 3. I. de SteIn d’AltenSteIn, Annuaire de la Noblesse de Belgique, Bruxelles, 1848, pp. 318-319.
4. Article publié dans L’Ami de la Religion, n° 4357, du jeudi 1er avril 1847.
allé à pied, dit-il, jusqu’à une faible distance de Huy, 5. L’article (par L. Lunier) intitulé Monomane – Fanatisme religieux – Fratricide, publié dans la Revue médico-légale
est revenu sans se gêner le moins du monde chez des journaux judiciaires (janvier-février-mars 1847) et basé sur la relation des faits par L’Ami de l’Ordre, donne d’autres
lui, hier après-midi, vers trois heures ; il a demandé détails (et éclairages) sur ce double assassinat.
qu’on lui servît à diner et s’est mis à table. [Il était 6. Une analyse de cette affaire parue dans le Bulletin de la Société de Médecine de Gand, (vol. 14, 1847, pp. 110-112)
pâle, défait, exténué de fatigue et de besoin ; rien ne sous l’angle des aliénés au sein de leur famille, ajoute d’autres éléments.
témoignait que sa raison lui fût revenue et qu’il eût 7. Monomane – Fanatisme religieux – Fratricide, p. 410.
8. Ibid.
le sentiment de son horrible action. Il s’est livré de 9. Bulletin de la Société de Médecine de Gand, p. 111.
lui-même ]. Arrêté par les gendarmes qui étaient 10. Monomane – Fanatisme religieux – Fratricide, p. 410.
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11. I. de SteIn d’AltenSteIn, Annuaire de la Noblesse de Belgique, Bruxelles, 1848, pp. 318-319.
Faire-part de décès de
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