La feuille de renseignements d’Alexandre Pire.
Escrocs d’amour
Malgré ses 75 ans et sa surdité, Michel-Joseph Galand tient toujours son commerce de bois, à Jambes, au bout de la Chaussée de Marche, vers Erpent.
Le 8 mars 1857, vers sept heures et demie du soir, deux individus se présentent pour, disent-ils, acheter des cercles en bois pour tonneaux de brasseur. Antoinette Leurquin, la servante de Galand, les renvoie : « Il est bien tard pour faire affaire et, de toute façon, nous n’en avons pas ».
Un quart d’heure plus tard, les mêmes gars reviennent avec deux ou trois complices, le visage dissimulé sous des foulards. Ça ne rigole plus ! L’un fait le guet, un autre saisit Antoinette à bras-le-corps, la terrasse et lui applique la main sur la bouche pour l’empêcher de crier. Un troisième comparse prend Galand au collet, lui pose un couteau-serpette sur la gorge et arrache la poche de son paletot pour s’emparer de ses clefs.
Mais au même instant, le chien se met à aboyer sauvagement dans la cour. Les malfrats prennent peur et s’enfuient. Antoinette, libérée, crie « Au voleur ! » à s’époumonner. Elle s’encourt chez Lepas, le fermier de la barrière d’Erpent, au-delà de la Chaussée. Il tient aussi cabaret. Avec ses clients, il cherche dans toutes les directions. Des pas dans la neige conduisent vers Géronsart, puis la piste fait chou blanc.
Dès le lendemain, les gendarmes namurois Gremling et Courtois sont chargés de l’affaire. Ils prennent les dépositions des uns et des autres. Ils notent : « Ni Galand, ni sa servante ne connaissent aucun des individus, mais ils présument que ce sont des portefaix de Namur et que s’ils les revoyaient, ils les reconnaîtraient ».
Pire et Lorge sont présentés à Antoinette Leurquin et au marchand de bois. Galand croit bien que c’est Pire qui l’a terrassé. Pour sa part, Antoinette reconnaît formellement les deux prévenus. Malheureusement, Pire et Lorge n’ont aucun alibi : ils étaient chez eux…
L’affaire vient devant le tribunal de Namur le 21 avril 1857, un mois après les faits. Lorge réussit à faire citer des voisins comme témoins qui attestent l’avoir vu chez lui. Il est acquitté. Pire proteste de son innocence, mais il est condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Quatre ans plus tard, lors de l’instruction, à Charleroi, des crimes commis par une bande organisée dans le Namurois et au-delà, la Bande noire, trois des malfrats dont leur chef, Jean-Baptiste Boucher, reconnaissent avoir tenté de voler chez le marchand de bois de Jambes. Ils peuvent raconter la scène dans les détails. C’est lors d’un séjour à la prison de Namur qu’un autre prisonnier avait indiqué la maison isolée à Auguste Leclercq, un membre de la fameuse bande.
Extrait de l’audition d’Antoinette Leurquin en 1857.
Lors du procès de la Bande noire aux assises de Mons, l’acte d’accusation relève 55 crimes au total, certains avec meurtres. Si Galand est décédé entre-temps, Antoinette Leurquin est convoquée à l’audience du 26 décembre 1861. Elle est interrogée par le président : « Regardez bien les accusés. Les reconnaissez-vous ? » « Oui, oui ! » s’écrie la servante, sans doute effrayée. On lui en aurait montré d’autres, qu’elle les aurait peut-être tout aussi bien reconnus !
En aveux, les quatorze brigands de la Bande noire sont condamnés pour le crime de Jambes. On sait que neuf d’entre eux, vu leurs 55 crimes, seront condamnés à mort. Sept autres seront graciés, mais deux exécutés en public devant la maison communale de Charleroi le 29 mars 1862.
Et Philippe Pire ?
Le 27 mars 1858, moins d’un an après sa condamnation, il avait été l’objet d’un arrêté de grâce complète et libéré car on avait finalement eu des doutes sur sa culpabilité. Mais son procès ne fut jamais révisé.
Sources :
L’Ami de l’Ordre, 23 avril 1857, 23 octobre 1890
Archives de l’État à Mons, Cour d’assises de Hainaut, 05.001 – 2888 à 2892
Laure Didier, La Bande noire (1855-1862), Presses universitaires de Louvain, 2013