La Foire du Trône à Paris. Rabasson s’y produisait.

« Billet de tirage au sort. Les billets étaient enroulés
dans une petite gaine en bois. Tournant dans un tambour,
les gaines en étaient extraites une à une lors du
tirage au sort. »

Le Tigre de Gascogne se bagarre

À l’époque de cette histoire, un service militaire était organisé par tirage au sort. Ces jours très particuliers étaient souvent l’occasion de kermesses et festivités diverses. Les uns fêtaient leur sort favorable, les autres voulaient oublier leur enrôlement à l’armée, pour deux ans au moins. Parfois, ça tournait mal.

Le 22 février 1895, les jeunes du canton de Namur sont convoqués pour l’opération. Elle a souvent lieu dans la salle de justice de paix de l’hôtel de ville. Un groupe de forains français est à la fête et rentre l’après-midi à Jambes. Un certain Mordant marche en tête, faisant tournoyer un énorme gourdin au-dessus de sa tête, tel un tambour-major de fanfare. Parmi eux le lutteur de foire Jean-Baptiste Januel, dit Rabasson. Il a soixante ans mais était une célébrité dans les années mil huit cent cinquante à travers la France. Ce fut l’une des vedettes de la Salle Montesquieu à Paris où les lutteurs professionnels se défiaient devant un public nombreux. On les connaît sous leurs noms de scène : Arin le terrible Savoyard, Faouet le Fauve des Jungles, Rivallon le Serpent de la Loire, Vincent l’Homme de fer, Mina l’Hercule du Midi et notre Rabasson, dit le Tigre de Gascogne ou le Taureau de la Gironde, que l’on décrit « musculeux et râblé ».

À l’entrée du pont de Jambes, un certain Tasiaux qui tient un cabaret rue du Four à Namur (à l’emplacement de la place Maurice Servais actuelle) les provoque. Ils doivent se connaître pour des faits antérieurs. Heureusement, les agents de police Lepas et Lamy, postés là pour éviter le grabuge, les dispersent. Mordant crie à Tasiaux : « Tu as de la chance que la police est là, sinon tu serais allé à l’eau ! ».

Furieux, Tasiaux rassemble à Namur une bande de comparses, tous passablement éméchés. Ceux-là arrivent à Jambes à la poursuite des forains français. Ils les rencontrent dans un café de la Grand’Rue (aujourd’hui l’avenue Bourgmestre Jean Materne) tenu par un certain M. Jonckers. Une bagarre indescriptible s’ensuit : la maison est mise à sac, on s’échange coups de poing, de pieds, de gourdin, de couteau et de poignard. La famille Jonckers doit s’enfuir, les voisins descendent les volets et s’enferment. La bataille rangée s’étend sur la rue. Vite, la police de Jambes arrive sur place mais, dépassée, doit faire appel à la gendarmerie de Namur. On sépare difficilement les forcenés, dont un grand nombre est d’ailleurs mis hors de combat en raison des blessures qui leur ont été infligées. Quand cesse la bagarre, on relève quinze blessés, conduits à l’hôtel de ville tout proche où ils sont soignés par les docteurs Lambillon, Piret et Ranwez, mandés par le commissaire de police.

Un des Français les plus malmenés, du nom de Cléret, doit subir une douloureuse opération : on doit énucléer un œil exorbité à la suite d’un coup violent. On craint également pour l’autre œil, et on redoute même une méningite.

Le lutteur Rabasson, bien qu’il ait pris des coups plus qu’il n’en a donnés, a été arrêté pour purger une condamnation antérieure.

L’affaire est traitée par le Tribunal correctionnel de Namur le 3 mai 1895. Les prévenus les plus violents sont condamnés à deux ans de prison, d’autres à sept mois et tous à des amendes variées et des réparations financières aux dommages causés au pauvre Cléret.

Deux condamnés vont en appel à Liège. Leur peine y sera confirmée. L’avocat général Beltjens déclare à l’audience : « Ces faits odieux se représentent malheureusement trop souvent lors du tirage au sort. C’est un salutaire exemple qu’a fait le tribunal de Namur en condamnant sévèrement les principaux auteurs de cette scène. »

Sources :

L’Ami de l’Ordre, 24 et 26 février, 6 et 11 mai et 26 juin 1895
Archives de l’Etat à Namur, Tribunal correctionnel de Namur. Fonds ancien, cote J154.