Les joutes nautiques de Namur se féminisent
Un moment historique dans le monde du folklore wallon
Le 14 août dernier avaient lieu à La Plante les traditionnelles joutes nautiques qui opposent qui opposent les habitants de Jambes et de La Plante. Côté Jambes revient sur le millésime 2022 de cette manifestation qui aura marqué durablement l’histoire des joutes nautiques de Namur. On peut même parler d’avancée historique puisque, pour la toute première fois dans l’histoire de ces jeux, les organisateurs, les scouts marins de Jambes et la confrérie des Compagnons de Buley ont ouvert la compétition à des équipes féminines.
Une (r)évolution
Il n’est pas exagéré de parler de révolution puisqu’il a fallu attendre 2015 pour que cette discipline exclusivement réservée aux hommes, s’ouvre aux femmes en leur permettant de pagayer aux côtés des hommes sur l’embarcation. L’édition 2022 a définitivement marqué l’histoire de la discipline avec l’arrivée des joutes féminines. Un pas en avant qui a pu se faire grâce à la volonté d’une part du comité des joutes, et d’autres part, grâce à la grande motivation de pagayeuses jamboises qui s’entraînaient depuis 2017. Ils ont osé franchir le pas, et pour ce faire, le comité des joutes a même dû modifier le règlement général. Une grande première dans le monde du folklore wallon, belge et probablement mondial !
Des règles identiques
Si le règlement a dû être élargi pour permettre l’ouverture à des joutes féminines, le déroulement et les règles du combat restent identiques. Chaque équipe est composée de quatre concurrents ou concurrentes, de 10 pagayeurs ou pagayeuses, d’un tambour et d’un barreur. Le combat se déroule en quarts de finale, puis en demi-finales et enfin en finale. Est déclaré vainqueur d’une joute le concurrent ou la concurrente qui reste en dernier lieu sur le tillac de la nacelle ou touche l’eau en dernier lieu. Au terme de ce tournoi, et selon la formule médiévale officielle, le gagnant est déclaré «Roy des jouteurs». Mais grâce à l’arrivée des filles, il a fallu innover et, tout naturellement, le comité des joutes a décidé de donner le titre de «Reyne des jouteuses» à la gagnante des manches féminines.
On notera toutefois deux différences minimes. L’une, involontaire et probablement momentanée, se situe au niveau des payageurs dans les bateaux des équipes féminines. L’exercice assez physique n’ayant pas séduit suffisamment de femmes, elles ont dû faire appel à quelques pagayeurs masculins pour être au complet. La seconde différence a trait au combat : lors d’une troisième passe, la jouteuse doit combattre pieds joints. Alors que chez les hommes, lors d’une troisième passe, le jouteur combat sur un pied.
Du folklore bien plus qu’un sport
Les nacelles, le Percot avec les costumes bleus et le Govion avec les tenues rouges, ainsi que les lances si caractéristiques font de ces joutes amicales un spectacle exceptionnel. Il faut bien dire que pour les participants, les joutes, c’est d’abord un rendez-vous avec le folklore. Un moment où une tradition se perpétue, traverse le temps avec toujours autant d’enthousiasme et de ferveur qu’au XVIe siècle. Certes, cette 48e édition a évolué, mais elle conserve les piliers fondamentaux des joutes pratiquées au Moyen Âge par les bateliers namurois.
Égalité du Folklore
L’événement a tout d’abord été précédé de cinq jours de préparation durant lesquels les filles ont fait connaissance, prélude à de nouvelles amitiés. Puis est venu le jour J où chaque jouteuse sur son bateau a usé de sa technique et de sa force pour réaliser la meilleure prestation et ne pas tomber. Les scouts marins ne manquent pas de nous préciser que « si on s’affronte lors des combats, nous redevenons frères ou sœurs une fois revenus sur la terre ferme. Que nous soyons Jambois ou Plantois, nous sommes d’abord et avant tout des Namurois et nous formons une grande famille ». C’est dans cet état d’esprit que les deux équipes féminines se sont affrontées en août dernier. D’un côté, l’équipe jamboise avec, en tant que jouteuses, Charlotte Deborsu, Mathilde Hutsemekers et les deux sœurs Noémie et Sixtine Paitoni. Face à elles, quatre jouteuses plantoises : Aurélie André, Lyla Montout, Camille Lafontaine et Bélinda Lequeux. C’est cette dernière qui a remporté la finale face à Sixtine Paitoni, devenant ainsi la première « Reyne des jouteuses » de cette édition historique. Côté masculin, on retiendra la victoire de Dimitri Colignon qui a gagné contre Guillaume Lafontaine tout comme en 2018. Un partage tout à fait équitable entre les hommes et les femmes, que ce soit au niveau des règles, du déroulement ou de l’équipement, et une parfaite égalité entre les deux rives puisque Jambes a son « roy » et La Plante sa « reyne ».
Perpétuer ce folklore n’est pas gratuit !
Si les joutes remportent chaque année un beau succès et si elles existent aujourd’hui en version féminine, une question se pose quant aux ressources nécessaires pour y parvenir. Les bateaux, les équipements, les lances, tout le matériel est vieillissant et nécessite, outre de l’entretien, un prochain investissement. « C’est là que le bât blesse, nous explique le Jambois Dimitri Colignon, car d’une part, il n’est pas facile de trouver du bon matériel, notamment les lances en bambou. Pour les joutes des filles, le bambou de celles que nous avions commandées était trop épais et trop gros. On ne pouvait pas les utiliser. Nous avons donc dû récupérer d’anciennes lances et les rafistoler. Les nacelles sont aussi en piteux état. On les répare avant chaque compétition. Cette année-ci, comme elles prenaient l’eau, on a même dû y installer des pompes pour écoper. D’autre part, trouver du financement public est complexe. Ce sont souvent de gros dossiers à compléter et nos projets ne sont pas toujours éligibles ». Les équipes de La Plante et de Jambes sont structurées en ASBL, mais ce type de folklore n’est pas toujours facile à défendre auprès des autorités publiques. Actuellement, pour Jambes, les ressources financières destinées à l’équipement viennent essentiellement des petites activités organisées par les scouts marins lors de la semaine des entraînements. À La plante, ce sont les recettes des activités organisées par la confrérie des Compagnons de Buley qui financent le matériel.
La suite ?
Cette ouverture aux joutes féminines était un fameux défi relevé avec brio. « Tout s’est bien passé et on en sort encore plus forts. Il y avait une ambiance incroyable. On a vraiment senti un grand enthousiasme dans le public », nous confie Dimitri Colignon. Maintenant, place à l’avenir. Les joutes nautiques version féminine comme version masculine vous donnent d’ores et déjà rendez-vous l’an prochain pour une édition qui s’annonce tout aussi chaude quant à l’ambiance. Et qui sait, cette fois, les filles seront peut-être en nombre suffisant pour pagayer…