Allocution de Denis MATHEN, Gouverneur de la province de Namur, à l’occasion de la célébration du centième anniversaire  de la Baronne Mariette Delahaut
Namur – Mardi, le 26 avril 2022

Madame la Baronne,

Chère Mariette,

Comment résumer une vie de 100 ans ?

Comment en parler sans sombrer dans les poncifs sur le temps qui passe ? Sans verser dans le simplisme qui n’aborde que ce que tout le monde sait déjà ? Surtout quand on parle en seconde position.

Ou, à l’inverse, comment ne pas être réducteur en choisissant mal les moments et les faits sur lesquels on pointe le projecteur, sur lesquels on choisit de s’arrêter ? Et pour ces deux raisons, je salue comme il se doit le tour de force auquel s’est livrée Madame l’Echevine.

Une vie, la vie, toute vie, n’appartient vraiment qu’à celle ou à celui qui l’a vécue et des instants de notre vie que nous voulons garder, comme de ceux que nous voulons oublier voire, et c’est notre droit, de ceux que nous aimerions taire, encore plus quand ceux-ci s’étalent sur cent ans, nous seul en sommes le meilleur juge.

Pour paraphraser Patrick Bruel, « on ne peut pas mettre cent ans d’une vie sur la table, comme on étale ses lettres au scrabble… », encore moins quand cette vie n’est pas la nôtre.

Pourtant chère Mariette, il me revient, en ce moment de festivités, de parler un peu de vous … d’abord parce que je m’y suis engagé et surtout parce que je pense que ceci vous fait un peu ? … beaucoup ? plaisir …. autant que cela vous faisait plaisir de m’entendre parler de vos chers Namurois de l’année en clôture de la cérémonie de remise des trophées, à chaque fois que vous y assistiez.

Mais alors que dire pour ne pas tomber dans les travers que j’ai évoqués il y a quelques instants au début de mon propos ?

En y réfléchissant, je me suis dit que tout compte fait, vous m’aviez grandement facilité la tâche quand je me suis souvenu des armoiries que vous vous êtes choisies lorsque Sa Majesté le Roi vous a honorée du titre de Baronne.

J’y vu d’abord, au centre, les arches millénaires de notre pont de Jambes et je me suis souvenu de ce que vous nous aviez dit à l’époque quand, dans les salons du palais provincial, en compagnie du secrétaire de la commission des faveurs nobiliaires et du peintre héraldiste Guy Dedecker, nous cheminions tous ensemble, pas à pas, dans la composition desdites armoiries.

Vous nous aviez dit qu’au-delà du symbole namurois, jambois et mosan qu’il incarne ce pont était tout à votre image, vous qui avez toujours lancé des ponts ; des ponts entre les continents, des ponts entre les langues, des ponts entre les disciplines, des ponts entre les générations, des ponts entre les êtres, entre leurs différences, entre leurs aspirations, entre leurs rêves.

Sur ces armoiries, j’y ai vu aussi, au-dessus du pont, un soleil rayonnant … celui qui éclaire les esprits comme les cœurs ;  « j’ai toujours été une fille du soleil » avez-vous un jour déclaré et ceux qui disent de vous que vous êtes une personnalité solaire ne se trompent pas … solaire tel le climat de la Louisiane.

Sur votre écu, il y aussi une gerbe de blé, blonde comme une bière de chez nous mais surtout respirant l’authenticité et la fierté, celle qu’on peut légitimement revendiquer quand on considère le fruit de son travail, le fruit du travail de toute une vie.

Sur vos armes, il y a encore ces deux plumes légères que tiennent dans leurs becs chacun des deux oiseaux que vous avez choisis en guise de supports … ainsi qu’on les appelle en héraldique.

Elles évoquent pour moi la plume qui glisse sur le papier pour le couvrir des lettres et des mots qui sont les bases de tout apprentissage aussi bien que ces plumes d’un autre genre, celles qui permettent à celles et ceux qui n’ont pas souvent eu rendez-vous avec la chance et la bonne fortune de, malgré tout, espérer un jour prendre leur envol.

Et puis, last but not least ainsi qu’on le dit en pays cajun, certes un peu moins qu’ailleurs aux States, … il y a ces deux supports, ces deux oiseaux que je viens de mentionner… et pas n’importe quel piou-piou de nos latitudes pluvieuses …. Non, deux beaux spécimens de cardinaux rouges, tout pareils à ceux qui venaient chanter sous vos fenêtres du côté de Lafayette, de la Nouvelle-Orléans ou de Bâton-rouge.

Et pour clôturer tout ceci, une devise : Avec tous et pour tous. Tout est dit… !

Hé oui, Madame la Baronne … c’est bien votre histoire que nous content vos armoiries ; et durant les quelques minutes qui m’étaient concédées, il n’était pas meilleur guide que votre blason pour nous prendre par la main et parcourir les 100 années qui ont été celles de votre destinée jusqu’à ce jour.

Stanislas Leszczynsk, ancien roi de Pologne, disait que « Si le blason prouve la noblesse du nom, c’est la noblesse du cœur qui rend digne de le porter. »

Chère Mariette, cette noblesse du cœur cela fait belle lurette que vous la détenez au plus profond de vous et ce blason que je viens de décrire, cela fait des décennies que vous êtes digne de le porter bien avant d’avoir été faite baronne.

Célébrer maintenant avec vous vos cent ans n’est pas là pour nous en convaincre … c’est simplement l’occasion de nous en rappeler.

Happy birthday to you Madame la Baronne !

Joyeux anniversaire, chère Mariette !

Madame la Baronne,

Chère Mariette,

En tant qu’Echevine de l’Etat civil de la Ville de Namur, quel honneur pour moi d’être à vos côtés aujourd’hui pour saluer ce siècle de vie !  100 ans, ma chère Mariette, vous vous imaginez ?! Cet incroyable parcours qui a été le vôtre, au service des autres, au service des Namurois et des Namuroises, au service du monde, nous inspire tous. Il faut dire que pour la jeune échevine de 24 ans que je suis, vous êtes un véritable exemple de vie. 76 ans nous séparent, après tout ! 3 générations de différence. Et aujourd’hui, c’est la jeune génération dont je fais partie qui vous met à l’honneur pour vos 100 ans. Oserais-je dire que je trouve ça beau, chère Mariette ?

Je remercie Monsieur le Gouverneur Denis Mathen, Monsieur le Président du CPAS Philippe Noël ainsi que son Directeur Alain Sorée, le Directeur des Chardonnerets Sébastien Farikou et notre commissaire international Monsieur Frédéric Laloux pour leur présence à mes côtés. Ne le cachons pas, vous êtes une partie de l’histoire de notre Ville et votre Histoire vaut bien cette délégation officielle. D’autant plus qu’il s’agit d’une délégation très qualitative puisque la plupart d’entre nous partagent avec vous une grande qualité que beaucoup nous envient : nous sommes Jambois !

Et maintenant, Madame la Baronne, Madame Delahaut, Chère Mariette, découvrons ensemble les secrets de votre fabuleuse histoire.

Tout a commencé le 17 avril 1922 à Namur. Evidemment. Ce jour-là, il neige et notre belle vallée mosane voit naître une jolie petite fille prénommée Mariette Delahaut.  Les Delahaut sont à l’époque une vieille famille rurale. Votre papa Joseph était d’ailleurs un courageux maraîcher (c’est ainsi que vous vous êtes rapidement installés à Jambes, terre maraîchère de référence) tandis que votre maman, Jeanne Feron, s’occupait de la maison avec beaucoup d’amour.

Vous avez également un petit frère, Jean. Petit frère qui a tout de même presque 99 ans aujourd’hui. Attention qu’il ne vous rattrape, Chère Mariette ! Jean, vous n’habitez pas très loin d’ici. Et figurez-vous chère Mariette, que votre frère reste un véritable sorteur puisque j’ai eu la chance de le croiser récemment au souper des Compagnons de Buley de La Plante ou encore ce dimanche au repas du Bric-à-brac. On aime visiblement profiter des bonnes choses dans la famille ! Jean, vous avez brillé en tant que médecin du sport et médecin ORL. Une véritable référence dans le domaine. Vous avez même reçu le diplôme numéro 1 des spécialistes à Leuven. Et oui, on aime bien être number one, chez les Delahaut !

Cher Jean, Chère Mariette, vous vous êtes toujours complétés. Jean jouant le rôle du très bon scientifique tandis que Mariette se démarque par sa sensibilité littéraire.

Et ce n’est pas un hasard si vous avez tous les deux brillé dans votre carrière puisque, très tôt, vos parents vous ont offert à chacun un cadeau inestimable : une instruction rigoureuse et poussée. La clé à chacun de votre succès.

Chère Mariette, c’est aux Sœurs Notre Dame que vous avez effectué toute votre scolarité, du jardin d’enfance jusqu’à vos gréco-latines !

Dès votre 5ème primaire, poussée par votre papa, vous apprenez l’anglais. C’est cet élément capital qui vous ouvrira les portes de votre incroyable carrière.

Et pourtant, de chance on ne peut pas dire que votre jeunesse en a été remplie. On est en 1940, la guerre éclate, vous avez 18 ans. Les événements s’enchaînent. Votre école est bombardée. L’exode de votre famille en Bretagne. Les mitraillages. L’interruption de la scolarité. Les horreurs de ces temps que l’on souhaite relégués au passé mais que l’actualité fait pourtant revivre à proximité.

Mais encore et toujours, comme un fil rouge, l’éducation qui va vous emporter dans le fleuve de la vie. Et quel fleuve ! Dès votre retour en Belgique, vous entamez votre régendat en littérature à l’institut Sainte-Marie Namur pour exercer en tant que professeur de français. Vous auriez préféré étudier à l’université mais les Facs de Namur refusaient d’accueillir les jeunes filles à l’époque. Une fois diplômée et pleine de volonté, vous vous engagez finalement comme ambulancière Croix-Rouge, c’est dans cette fonction que vous serez amenée à ensevelir les dizaines de corps des Namurois tués par les bombes en 1944. Un souvenir marquant. Vous aviez 22 ans à peine.

Vous êtes finalement repérée par l’armée américaine basée à Flawinne ce, grâce à votre connaissance de l’anglais. La chance de votre vie. Les Américains vous engagent en tant que fonctionnaire interalliée, vous bénéficiez même du grade d’officier avec tous les avantages y liés pour votre plus grand plaisir. Et oui, on ne fait pas les choses à moitié !  Ils vous envoient ensuite à Wiesbaden. Et voilà que la jeune femme que vous êtes est embarquée dans l’Allemagne d’après-guerre, entourée de tous ces Allemands démunis qui marqueront à jamais votre mémoire. Par la suite, la roue tourne. Votre ancien chef de Wiesbaden vous propose de travailler avec lui au sein d’une des institutions les plus prestigieuses du monde entier : l’ONU. Une opportunité en or que vous acceptez sur le champ. Adieu l’Allemagne, bonjour Paris ! 800 employés sont sous votre responsabilité. Vous participez également à l’adoption de la Charte Universelle des Droits de l’Homme par l’Assemblée Générale de l’ONU en 1948, entre autres aux côtés de Gandhi et Roosevelt. Rien que ça ! Vous aviez 26 ans.

Après cette incroyable expérience, vous revenez en Belgique en 1950 pour revenir à vos premiers amours : le métier d’enseignante. Vous enseignez le français du côté de Dinant.  L’année 1953 signe un autre tournant de votre carrière : lauréate de la prestigieuse bourse Fullbrigth, vous partez découvrir l’Amérique à l’âge de 31 ans pour y enseigner. Vous, Mariette Delahaut, la fille de la Meuse, traversez l’Océan ! En bateau et pas uniquement en tant que simple passagère… puisque vous réussissez à convaincre le capitaine du paquebot le France de vous laisser les manettes de ce mythique navire le temps d’un instant. Votre force de persuasion est impressionnante, décidément.

Vous voilà dans l’Iowa, en plein milieu de la cambrousse américaine au début des golden fifties à enseigner au sein d’une école. Vous égayez vos journées également en donnant des dizaines et des dizaines de conférence devant des assemblées pouvant dépasser les 8000 personnes. Plus question d’avoir peur de parler en public, n’est-ce pas Mariette ? Vous retournerez plus tard en Louisiane en mission pour le Ministre de l’Education Nationale afin d’y dispenser des cours de Français et ce, à la demande des autorités américaines qui craignaient de voir disparaître la langue de Molière dans la région la plus francophone du pays.

Toutes ces expériences à l’étranger vous enrichissent mais à un moment, vous vous dites qu’il est temps de rentrer à la maison et de donner aux autres tout ce qu’on a appris. Il est maintenant temps de construire avec toujours ce fil rouge qui vous guide : l’enseignement.

C’est ainsi qu’à votre retour en Belgique, vous êtes plus que jamais ambitieuse. Votre envie de mener à bien des projets concrets vous animent passionnément. Vous vous lancez dès lors dans la création d’école : l’école moyenne de l’Etat à Glons puis celle de Lesves et enfin votre rubis, votre bébé, cette pépite : l’école d’enseignement spécial de Jambes. Et oui, c’est à 48 ans que vous fondez le tout premier établissement de Wallonie dédié à l’enseignement spécialisé (et pas spatialisé !). Vous y mettez tout votre cœur pour mettre sur pied cet ambitieux projet en 1970.

En reconnaissance du travail mené et de votre implication, l’école porte aujourd’hui fièrement votre nom : l’Institut Mariette Delahaut. Waw. Quelle consécration. L’école est aujourd’hui devenue une véritable référence dans le milieu de l’enseignement spécialisé. Chère Mariette, l’établissement que vous avez créé a permis de redonner de l’espoir à des centaines de jeunes qui pensaient ne pas avoir leur place dans la société. Grâce à vous, Mariette, ils l’ont trouvée, leur place.

A côté de cette vie à l’international, vous restez profondément ancrée ici au confluent de la Sambre et de la Meuse, véritable terreau de la famille Delahaut. Je suis Jamboise et je le reste ! Vous le dites vous-même : « J’ai pris possession de la Meuse ou la Meuse a pris possession de moi ». Et je sais que la Meuse vous manque beaucoup même si elle n’est pas loin.

Toujours très proche de votre frère Jean, vous n’hésitez pas à vous mesurer à lui tous les lundis lors de riches parties de scrabble pleine de suspens. Par élégance, je ne demanderai pas qui gagne le plus souvent. Vous chérissez également comme vos propres enfants vos 6 neveux, 16 petites nièces et neveux et 17 arrières petites nièces et neveux !

Au terme de votre incroyable carrière, pas question de vous reposer !  Vous allez vous impliquer comme personne dans la vie namuroise. Associatif, services-clubs… vous serez partout et la reconnaissance de toutes ces actions viendra naturellement. Après l’école à votre nom, vous serez aussi désignée prix Blondeau et même Namuroise de l’année avant le Saint Graal en 2018 : vous êtes anoblie Baronne par le Roi Philippe sur proposition de notre Gouverneur Denis Mathen. La véritable grande classe, à l’image de tout ce que vous avez accompli.

Madame Delahaut, Chère Mariette, je l’ai déjà dit, 76 ans nous séparent, 3 générations entières. Le contexte dans lequel je suis née ne ressemble en rien à celui de votre naissance. Aujourd’hui, il me semble normal qu’une femme puisse exercer le même job qu’un homme. Hier, chère Mariette, vous avez dû vous battre comme une lionne pour pouvoir devenir la première femme directrice d’une école alors que c’était réservé aux hommes. Hier, le rôle d’une femme était de consacrer sa vie à son foyer, son mari et ses enfants alors que vous, vous étiez déjà une véritable femme indépendante qui se donnait corps et âme dans tous les postes à responsabilité, ne devant rien à personne mais toujours dans un esprit de dévotion immense. Aujourd’hui, la langue anglaise est universelle et il suffit presque de regarder des films ou séries télés en ligne pour devenir bilingue. Hier, presqu’aucun européen ne parlait la langue de Shakespeare alors que vous, vous preniez déjà des cours d’anglais à l’âge de 10 ans pour devenir bilingue.

Aujourd’hui, nous nous devons de l’admettre, les choses sont un peu plus simples. Et pourtant, nous connaissons peu de personnes à l’heure actuelle qui peuvent se vanter d’avoir travaillé pour le gouvernement Belge, été ambulancière, travaillé pour l’ONU, créé plusieurs écoles en Belgique, mis sur pied l’enseignement spécialisé en Wallonie et d’avoir un établissement scolaire de référence qui porte son propre nom. Personne ne peut se vanter de tout cela. Et pourtant, Mariette, vous oui… Impossible n’est pas Delahaut.

Tout au long de votre vie, vous avez enchaîné les différents projets. Vous ne vous arrêtiez jamais. Quand il y en a plus, il y en a encore. Et en cascade. Avec vous, la ligne d’arrivée est souvent la ligne de départ.

Aujourd’hui, nous mettons à l’honneur les cent ans d’une femme de poigne. Indépendante. Ambitieuse. Rigoureuse. Dévouée aux autres. Aventurière. Complètement avant-gardiste. Une véritable féministe avant l’heure. Vous avez toujours eu confiance en la vie. Je le répète, vous êtes une véritable source d’inspiration pour les jeunes de ma génération mais surtout pour nous tous.

Madame la Baronne, Madame Delahaut, très Chère Mariette,

Nous arrivons maintenant au terme de notre voyage ensemble. Vous l’aurez compris, c’est avec une émotion non feinte que j’ai le plaisir au nom de la Ville de Namur, de mes collègues du Collège et du Conseil communal de vous rendre hommage à vous et à cette incroyable vie porteuse de sens et d’espoir. Valeurs dont nous avons tellement besoin aujourd’hui.

Nous sommes toutes et tous ici très heureux de pouvoir vous souhaiter un joyeux anniversaire !

Je tiens à remercier le personnel des Chardonnerets qui nous reçoit aujourd’hui et qui nous permet de vous mettre dignement à l’honneur parce que vous le méritez, très chère Mariette.

Pour terminer ce voyage dans le temps, permettez-moi de vous remettre ces cadeaux au nom de la Ville de Namur et de moi-même.

Vive Namur, vive Jambes et vive Mariette Delahaut !