Parricide au Vigneroul

Les lieux à l’époque du drame (carte de Vandermaelen).

Louis-Philippe Coune qu’on appelle Jeckion, a quitté la maison paternelle vers sept heures du matin. Nous sommes le 29 septembre 1903. C’est une toute petite maison au chemin de Belle-Vue sur le plateau qui surplombe la chaussée de Liège, à Jambes. Ce chemin rejoint le chemin de Vigneroulle, chemin de campagne à travers des bosquets et quelques cultures qui mène au lieu-dit Trou perdu. Le Jeckion marche vers la Montagne Sainte-Barbe et le centre de Jambes. Il est désœuvré, pas d’embauche, au bord de l’indigence, ce qui ne le retient pas, ce matin-là, de pousser la porte de plusieurs cafés. Vers midi, il est ivre. « J’étais tellement ivre », dira-t-il.

Il rentre à la maison vers midi. Ses parents n’y sont pas. Et pour cause. Sa mère a été recueillie en juillet par les Petites Sœurs des Pauvres, à Saint-Servais. Son père, Gérard Coune, a abandonné la maison à son fils tant il avait peur de lui. Le Jeckion avait brisé le mobilier et la maison était devenue inhabitable. Le Jeckion maltraitait ses parents, les frappait, les giflait, en leur reprochant de ne pas lui donner assez d’argent. C’est parce qu’il les frappait qu’il a fait de la prison. En juillet, Gérard est alors parti chez la sœur de sa femme, la veuve Kermesse, au Trou perdu. Il y couche dans le fenil.

Ce jour-là, Gérard Coune a quitté les Kermesse dans la matinée, disant qu’il allait chercher du travail chez le fermier Éloy. En fin de matinée, le voilà qui pousse la porte de la maison qu’il a abandonnée il y a deux mois. Contre toute attente, le Jeckion est là. Fort surpris, le père se retire aussi vite et reprend sa route vers la maison des Kermesse. Mais le Jeckion sort de la masure et le poursuit en l’injuriant. Gérard Coune lui répond d’aller travailler. Le Jeckion s’énerve et son père prend peur. Il hâte le pas pour se retrouver dans un lieu de cultures et de jardins où il sait qu’il y a du monde, les Gobert, les Lamury, les Devert et d’autres.

« Attends-moi, fainéant ! », crie le Jeckion à son père. Et l’ayant rattrapé, il le bouscule et le renverse en le projetant violemment au sol.

Gérard Coune se relève et sans dire un mot, poursuit sa route, espérant rejoindre les Kermesse avant que les choses ne s’aggravent. Il arrive près de la ferme Lamury. Edmond Lamury en sort à l’instant. Il voit que Louis Coune renverse son père. C’est la deuxième fois. Peut-être plus violemment encore. Une fois son père à terre, le Jeckion le frappe à coup de poing et de coups de pied sur la tête.

Lamury s’approche pour les séparer…Le Jeckion sort un couteau.

  • Je te le flanquerai dans la panse si tu bouges.

Lamury s’éloigne. Le Jeckion continue à le suivre de près en l’injuriant et en criant qu’il tuerait son père qui le laissait crever de faim.

Son fils parti, Gérard Coune se relève et marche vers la maison des Kermesse. Une fois-là, il va s’allonger dans une prairie au bout du jardin. Il s’est serré la tête avec son mouchoir et ne cesse de pleurer.

  • C’est mon fils qui m’a battu.

Il reste là jusque cinq heures et demie. Ensuite il monte dans le fenil, au-dessus de l’écurie.

Après plusieurs jours, on fait appeler le Docteur Lambillon. Celui-ci examine la victime. Elle est dans un état comateux. Il est convaincu que Gérard Coune ne survivra pas. La paralysie et l’insensibilité sont à peu près complètes.

Or, le mercredi 7 octobre, le commissaire de Jambes, Henri Ledoux, apprend que le dénommé Gérard Coune est dangereusement malade des suites de coups reçus de son fils. Il se rend d’abord chez le docteur Lambillon qui, fort pessimiste, lui raconte sa visite. Ledoux se rend ensuite chez les Kermesse. On lui raconte l’agression. Dans la soirée, il apprend le décès de Gérard Coune.

Tôt matin le 8, il arrête Louis Coune, l’enferme après un bref interrogatoire, dans l’amigo de l’Hôtel de ville de Jambes et prévient le Parquet de Namur.

C’est le juge d’instruction Albert Louche qui sera chargé du dossier. Le jour même il arrive à Jambes accompagné du substitut Pépin, de son greffier Pasquier et des deux médecins légistes qu’il a convoqués, les docteur Ranwez et Verniory qui  se livrent à l’examen et à l’autopsie de la victime. Le juge se rend à l’hôtel de ville où Ledoux a rassemblé les divers témoins. Louche les auditionne tous puis interroge Louis Coune lui-même qui lui donne sa version des faits : il est rentré chez lui ivre, s’est couché, son père est arrivé qui l’a traité de tous les noms, il a suivi son père dans la rue, l’a renversé. « Il se peut que je lui ai porté des coups mais je ne m’en rappelle pas. Edmond Lamury est venu pour nous séparer mais je ne me rappelle pas de l’avoir menacé », dit-il. Aussi le juge rédige un mandat d’arrêt contre Louis Coune  pour avoir d’une part volontairement porté des coups à son père, coups et blessures qui ont causé la mort sans l’intention de la donner, et d’autre part menacé par gestes Edmond Lamury et d’avoir commis un attentat contre sa personne.

De leur côté, les médecins légistes ont rédigé leur rapport. L’autopsie démontre nettement que la mort résulte directement des violences exercées par le fils sur le père. L’hémorragie, cause de la mort, a été provoquée par la violence des chutes sur le sol.

Le 18 novembre, lors de l’audience de la Cour d’assises de Namur, les débats seront brefs. Louis Coune a choisi un mode de défense particulier: il ne se souvient de rien. Dès le début de l’après-midi le jury peut se retirer et délibère rapidement pour, en conclusion, reconnaître Louis Coune coupable de violences ayant causé la mort de son père et de menaces contre Edmond Lamury.

La Cour condamne Louis Coune à dix années de réclusion.

Sources :

AEN, Cour d’assises de Namur, n°375