Christ assis attendant la mort
16-17e siècles. Bois polychrome.
Jambes, église Saint-Symphorien. © KIK-IRPA.

Christ assis attendant la mort
1491-1510. Chêne.
Binche, église Saint-Ursmer. © KIK-IRPA.

Dès le début du 14e siècle, les liens entre sculpture et spiritualité se font de plus en plus étroits. Les fidèles ressentent un attrait pour le cycle de la Passion du Christ, et une nouvelle iconographie, où transparaît une véritable intensité émotionnelle, se développe, alimentée par les récits des auteurs de l’époque.

Une nouvelle figure originale, un « résumé douloureux de toute la Passion »1, apparaît donc à la fin du 15e siècle. Le Sauveur, seulement vêtu du périzonium2, est assis sur un tertre, pieds et mains liés, la tête ceinte de la couronne d’épines. Il vient de juste monter au Calvaire et demeure assis pendant que les bourreaux achèvent les préparatifs de la crucifixion. Il y attend la mort, résigné, épuisé, la tête penchée sur l’épaule, les bras croisés devant le torse, les pieds et mains liés.

La présence du crâne, symbole du Golgotha, situe le lieu du supplice.

Dans ces représentations pathétiques, les artistes expriment non seulement la douleur physique mais, surtout, la douleur morale d’un Dieu qui meurt pour les hommes.

L’iconographie du Christ attendant la mort a remporté un réel succès auprès des ateliers de sculpture des anciens Pays-Bas méridionaux, principalement auprès des ateliers bruxellois (probablement ceux de la dynastie des Borman, Jan I et Jan II) qui semblent être à l’origine même de cette nouvelle iconographie. Le succès de cette image pieuse essaimera également dans le nord de la France, en Bourgogne, Champagne et Lorraine, mais ne dépassera pas la frontière de la Loire. L’attrait pour cette image du Christ gagnera également l’Allemagne, mais sous une autre formule qui montre cette fois le Christ assis, sans lien, accoudé sur sa jambe repliée, la tête appuyée sur la main.

Ce type de Christ assis au Calvaire ou Christ attendant la mort est souvent confondu avec la scène du prétoire – où Ponce Pilate présente le Christ à la foule vêtu du manteau pourpre, couronné d’épines et tenant un roseau en guise de sceptre – autrement dit l’Ecce Homo.

On peut également le confondre avec le Christ de pitié, également souffrant, mais qui est lui déjà porteur des stigmates de la crucifixion.

Des prototypes sont ainsi développés et seront fréquemment copiés par la suite, notamment au sein des ateliers anversois, entraînant une répétition du thème et des formules, mais également une certaine médiocrité d’un point de vue esthétique dès le second quart du 16e siècle. Pourtant, parmi la centaine de Christ attendant la mort conservée en Belgique, il est aujourd’hui possible d’en distinguer quelques exemplaires d’une très grande qualité.

Trois grands ensembles peuvent être établis sur base de la posture du Christ, bien qu’il y ait parfois de légères différences au sein d’un ensemble. Mais tous les Christ attendant la mort présentent deux points communs, à savoir la présence du tertre en référence au Golgotha et le nœud qui entrave les poignets du Sauveur. Ce nœud symbolise d’ailleurs à lui seul le sacrifice volontaire du Christ qui aurait pu facilement s’en libérer, mais qui ne l’a pas fait.

Le Christ de Jambes, probablement réalisé entre le début du 16e et la fin du 17e siècle, semble s’inspirer de modèles anversois. Tout le corps est légèrement incliné vers la gauche, jusqu’au fin visage du Christ, supportant une lourde et volumineuse couronne d’épines. Comme les Christ de Burgos3 et de Binche4, qui eux portent la marque de la guilde d’Anvers, le Christ jambois n’est attaché par une corde qu’au niveau des poignets. Ses mains, entrouvertes, reposent sur le haut de ses cuisses. Ses jambes ne sont pas entravées, elles sont légèrement écartées pour mieux le soutenir, alors qu’il est assis sur le tertre, vêtu de son périzonium. La tunique, pourtant peu volumineuse, se répand quant à elle jusqu’au sol, sous le pied droit du Christ, et recouvre partiellement le crâne qui le jouxte.

Avec ses 185 cm de hauteur, le Christ jambois est particulièrement grand, la plupart des Christ attendant la mort conservés dans nos régions mesurant moins d’un mètre. Son épaisse couche de polychromie atténue malheureusement un peu ses formes, mais ce Christ, sans être un chef-d’œuvre, reste une pièce de bonne qualité, qui mérite d’être étudiée plus en profondeur et, surtout, qu’on en prenne grand soin.

Notes :

  1. E. Mâle, L’art religieux de la fin du Moyen Âge en France – Étude sur l’iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d’inspiration, Paris, 1922, pp. 91-98.
  2. Le voile dont Marie recouvre la taille de son fils pour en cacher la nudité.
  3. Conservé au sein de la cathédrale de Santa Maria. Il mesure 133 cm de hauteur. Les mains d’Anvers (marque de la Guilde) sont taillées à l’avant, sur le bord du socle, au milieu gauche.
  4. Cette sculpture est aujourd’hui conservée dans l’église Saint-Ursmer. Elle provient de l’ancienne chapelle Saint-André dite chapelle du Vieux cimetière. Voir : R. Didier, Christ attendant la mort au Calvaire et Pietà, deux sculptures anversoises conservées à Binche. Problèmes de datation et d’iconographie, dans Bulletin de la Commission royale des Monuments et des Sites, XIV, 1963, pp. 51-75 ; ID., Un Christ anversois assis au Calvaire conservé à Binche, dans Bulletin de l’IRPA, 6, 1963, pp. 179-182. Hauteur : 155 cm. La marque anversoise est visible au revers.