Un Américain mort à l’hôtel

Jambes comptait au début du 20e siècle, plusieurs hôtels bien fréquentés : l’hôtel du Vieux Pont, près du pont, l’Hôtel de la Plage, au bord de la Meuse, ou l’Hôtel des Acacias, dans la rue du même nom, aujourd’hui avenue Bourgmestre Jean Materne, et d’autres. Y logeaient des touristes visitant la vallée de la Meuse, des pêcheurs attirés par le goujon et le brochet mosans ou des voyageurs de commerce. Les immeubles de ces trois hôtels existent toujours mais connaissent désormais d’autres affectations.

C’est dans l’un des hôtels jambois que se présente le mercredi 28 mars 1900 un individu étranger, âgé d’une soixantaine d’années, s’exprimant sans accent. Il porte une malle de voyage et demande une chambre. Dans un premier mouvement, l’hôtelier, prudent, lui refuse l’accès puis se reprend et lui attribue une chambre.

Le lendemain, jeudi 29, vers midi, le pensionnaire n’a pas quitté la chambre. L’hôtelier s’inquiète. Il envoie la bonne qui frappe à la porte : « Je vais descendre », répond le voyageur. Vers deux heures, même réponse à la même démarche de la bonne : « Je descends ! ». Mais l’après-midi se passe et l’homme n’a pas bougé. Le patron s’inquiète, il monte à son tour et colle son oreille à la porte. Cette fois, il entend l’homme râler. Sans attendre, il alerte le commissaire de police de Jambes, M. Ledoux. Par la chambre voisine, en déplaçant une armoire qui bloque une porte de communication, ils pénètrent tous deux dans la chambre où ils découvrent, tombé entre le lit et le mur, le corps du pensionnaire encore chaud. Le policier n’hésite pas : il pratique aussitôt la respiration artificielle, malheureusement sans résultat. On appelle le docteur Lambillon. À son arrivée, celui-ci ne peut que constater la mort.

L’hôtel des Acacias

En fouillant les effets du voyageur, on découvre deux paquets de morphine, à très forte dose, sans nom de pharmacien. Sur la table de la chambre, une lettre a été déposée bien en vue. L’enveloppe est adressée aux autorités de la Ville de Namur ou de Jambes. Que dit la lettre ?

Namur, (21 barré) 29 mars 1900.

Je me suicide par la morphine. Ne blâmez personne que les Roulettes de ce pays-ci. Veuillez être assez bon pour écrire à ma famille après ma mort car j’ai une assurance sur ma vie de 75,000 fr., par dépêche, si possible.

Votre serviteur, Etienne Jandin. »

Suit l’adresse de sa femme à Denver, dans le Colorado, aux USA. La lettre poursuit :

« Les roulettes de Namur me coûtent au-dessus de 20 000 fr. Je ne puis avoir d’eux mon passage pour me rentourner (sic) chez moi. Je ne blâme personne que moi. Je n’avais qu’à n’y pas venir.»

Le Kursaal à Namur

Le malheureux arrivé au plus grand désespoir, avait passé plusieurs jours au Kursaal, établi au bord de la Meuse, après son confluent avec la Sambre, en face de l’hospice d’Harscamp – là où passe aujourd’hui le boulevard Isabelle Brunell. Il y a joué de fortes sommes à la roulette. Mais le sort des jeux n’avait pas été favorable à son destin alors qu’il semblait venu d’outre-Atlantique pour faire fortune à Namur, alléché par la publicité diffusée largement par l’établissement. On apprit toutefois par la suite que Jandin était de nationalité française, originaire de Saint-Ythaire en Saône-et-Loire mais établi en Amérique depuis 28 ans. Il y était employé par une grande firme de New York spécialisée en exportation de viandes fumées pour les affaires de laquelle il était venu en Belgique.

À l’époque les journaux qui relatèrent ce triste fait divers se querellèrent activement : les uns souhaitaient la fin de « ces tripots, lieux de perdition », « réunissant des malheureux aux yeux hagards et désespérés », les autres n’y trouvaient rien à redire.

Certes, l’hôtelier jambois eut préféré des touristes, pêcheurs à la ligne et représentants de commerce bien en vie.

Sources :

L’Ami de l’Ordre, 30, 31 mars, 1er, 2, 3 et 4 avril 1900

Le petit Bleu du Matin, 3 avril 1900

Le Patriote, 5 avril 1900