Armand et Héliodore Dandoy
Panorama de Jambes : détail de l’église
Ca. 1860. Namur, AEN, dépôt APN, Fonds Dupont.

Revenons sur un conflit qui a agité la presse namuroise dans le dernier quart du 19e siècle, plus précisément à partir de 1872.

À cette époque, en plein conflit clérico-libéral, le curé François-Désiré Doyen est à la tête de l’église de Jambes et de son conseil de fabrique. Or, la commune de Jambes, menée par le bourgmestre Lallement, est de tendance libérale. Et les joutes verbales (et écrites) qui en résultent  sont pour le moins agressives.

En 1878, le curé Doyen publie chez un imprimeur namurois la seconde partie de ses Documents relatifs à la paroisse de Jambes2, avec une annotation révélatrice de l’ambiance : « Ayez soin de votre réputation, car ce bien sera plus durable pour vous que mille trésors précieux. Eccli. XLI, 15. »

Dans l’avis au lecteur entamant ce feuillet de 52 pages, il précise qu’il fut dès 1872 « en butte aux attaques incessantes de l’administration libérale ». Et que s’il y répond en fournissant copie des pièces du dossier, c’est pour que chacun puisse « se former une idée nette, exacte de la loyauté et de la justice de [ses] adversaires, [et qu’il est] d’ailleurs certain que le public éclairé ne pourra, en cette circonstance, que ratifier le jugement de l’autorité supérieure elle-même qui [lui] a donné gain de cause sur tous les points ».

Dans ce chapitre d’un conflit bien plus large3 tout commence par un courrier émanant de la commune le 7 septembre 1873 et signifiant au conseil de fabrique de lui remettre les clés de l’ancien cimetière, sous prétexte que ce cimetière a « cessé d’être affecté4 à sa destination publique depuis plus de 7 ans et qu’il redevient d’après le droit commun propriété communale ».

Or, le curé Doyen refuse de remettre ces fameuses clés, soutenu par Me Lelièvre, avocat namurois, qui estime que « les cimetières annexés aux églises sous l’ancien régime appartiennent aux fabriques. [Et que] lorsque ces cimetières ont cessé d’être affectés à un usage public, la propriété des fabriques d’église revit et redevient pleine et entière ».

Ainsi commencent autour d’une parcelle de 7 ares 99 centiares plus de 3 années d’échanges de courriers, de menaces, de jugements, d’appels… Et bien entendu, la presse s’en mêle, les journaux suivant chacun leurs tendances politiques.

C’est ainsi que L’Organe de Namur et de la province5 publie déjà le dimanche 14 septembre 1873 une attaque en règle :

« Immense est le respect des ultramontains pour le champ des morts.

Allez plutôt vous en informer à Jambes.

L’ancien cimetière que le Conseil communal a fait fermer depuis la création du nouveau terrain d’inhumation, est contigu à l’église. M. Doyen, l’aimable correspondant de l’Ami de l’Ordre6, s’est donc cru autorisé à transformer le lieu de sépulture en un jardin potager d’un excellent rendement.

La terre était grasse, les produits furent magnifiques. Le conseil communal a-t-il approuvé ce procédé irrévérencieux ou bien a-t-il craint que la possession du cimetière ne finît par valoir titre aux yeux du curé maraîcher, nous l’ignorons ; le fait est, qu’une lettre a été écrite à M. Doyen pour lui réclamer la clé de son funèbre jardin et qu’il lui a fallu hâtivement opérer la récolte de ses mange-tout et de ses cabus.

Est-elle assez vexatoire, cette autorité civile ?

Mais qu’ont-ils donc de respect pour la mort, ces excellents pasteurs ! »

François-Désiré Doyen (1825-1903).

Né à Awenne (prov. Luxembourg) le 9.10.1825, ordonné prêtre à Namur le 19.06.1848, il fut successivement curé de Villers-en-Fagne (1852-1858), Gonrieux (1858-1867), Corroy-le-Château (1867-1872) et puis Jambes (1872-1879) avant d’être nommé curé-doyen de Weillen de 1879 à sa mort, le 21.01.1903. Auteur de nombreuses publications théologiques, morales et historiques, parmi lesquelles les Documents relatifs à la paroisse de Jambes (1874 et 1878). Son œuvre la plus connue et aussi la plus importante est certainement sa Bibliographie namuroise, publiée en 3 volumes (1884-1902), qui recense en 2 657 numéros tous les ouvrages imprimés dans la province de Namur ou publiés à l’étranger par des auteurs namurois7.

É. Brouette, Doyen (François-Désiré), dans Biographie nationale, t. 32, Bruxelles, 1964, col. 141-144.

À cela, le curé Doyen répond que la fabrique a attendu 7 ans, se conformant aux prescriptions, avant d’affermer l’ancien cimetière au sieur L. Lesseux, marguillier de la paroisse, afin qu’il puisse le cultiver pour l’ensemencer l’année suivante de luzerne au profit de la fabrique.

« Voilà ce qui s’est fait.

Où est de ma part, monsieur, le manque « de respect pour la mort » et « le champ des morts »? Où est « le jardin funèbre » et plantureux d’un grand « rendement » pour moi ? Où sont « les mange-tout et les cabus dont j’aurais hâtivement opéré la récolte ? ».

Suite à quoi L’Organe de Namur ne manque pas de relancer son attaque, précisant que l’ancien cimetière avait été planté, par décision communale, d’arbustes et de fleurs et son usage comme promenoir accordé au desservant de la paroisse. Mais qu’il appert que les rosiers, les seringuas, les acacias et autres arbustes, y compris un énorme saule pleureur, ont disparu « et que le cimetière se trouvait, il y a peu de jours encore, planté de haricots nains, de poireaux et de céleri (il n’y avait pas de choux cabus ni de « mange-tout », nous en devons la décharge à M. Doyen)8».

Voilà donc comment les choux gras d’un cimetière ont pu faire ceux d’un journal.

Fiona Lebecque,
Présidente-Conservatrice
du Centre d’Archéologie,
d’Art et d’Histoire de Jambes

Notes :

  1. Merci à Jean-Louis Javaux pour ses précieuses informations et à Monique Gosset pour l’idée d’article.
  2. Documents relatifs à la paroisse de Jambes, Namur, A. Woitrin imprimeur, 1878.
  3. On peut notamment citer pour l’année 1873 des plaintes du curé Doyen sur les faits suivants : « que le chemin qui entoure le chœur de l’église est devenu une véritable sentine, ou le cloaque de toutes les ordures des environs », que l’administration communale a « voulu faire passer sous le chœur de l’église et même sous l’autel le grand égout collecteur qui traverse le faubourg dans toute sa longueur » et bien entendu de ce que « cette année encore le conseil communal a voulu s’emparer de deux parcelles de terrain de l’ancien cimetière appartenant à la fabrique ».
  4. La désaffection du cimetière a eu lieu en 1866.
  5. L’Organe de Namur et de la province, 15e année, n° 4448, 14 septembre 1872, [p. 2]. Coll. Fondation Société archéologique de Namur. Ce journal est bien entendu à tendance libérale.
  6. Journal de tendance catholique.
  7. La Société archéologique de Namur conserve aujourd’hui encore ce qu’on appelle couramment le Fonds Doyen, ou Fonds Bibliographie Namuroise, constitué sur base des ouvrages réunis par F.-D. Doyen et enrichi au cours du 20e siècle en se référant à l’ouvrage de cet ancien curé jambois.
  8. L’Organe de Namur et de la province, 15e année, n° 4449, 15-16 septembre 1873, [pp. 2-3]. Coll. Fondation Société archéologique de Namur.