François-Denis de Garcia de la Vega, président du tribunal.

Escrocs d’amour

Nous sommes en 1851. Constant Marée habite une des rares maisons du hameau de Velaine. Il a 29 ans. Il vaut mieux ne pas trop lui faire confiance. Avec l’aide de deux complices, il a monté au détriment d’une jeune fille de La Plante et de sa famille une escroquerie qui durera près de trois ans.

Soucieuse d’en savoir davantage sur ses chances en amour, Dieudonnée Fraiquin était allée consulter une cartomancienne qui perçut assez vite la crédulité de sa cliente et déclara voir dans les cartes qu’un jeune homme de bonne famille et fort riche la demanderait bientôt en mariage, que ce jeune homme souffrant d’épilepsie voulait compenser cette disgrâce en faisant le bonheur d’une pauvre fille, et qu’il avait jeté son dévolu sur elle. La devineresse, secondée par son mari, un ex-fourrier du 9e de ligne caserné à Namur, s’ingénia à bâtir toute une intrigue sur cette simple fable. Complice, Constant Marée, qui avait sans doute une belle plume, rédigea dans sa maison de Velaine pas moins de 250 fausses lettres contenant force déclarations d’amour, projets de mariage et promesses d’établissement confortable, missives censées écrites de la main de l’amant imaginaire. Il y était aussi maintes fois question d’entrevues qui, toutes, pour l’une ou l’autre raison, n’eurent pas lieu, et pour cause. On découpa un visage dans une estampe que l’on remit à la promise comme figurant le portrait du prétendant.  Les père et mère de Dieudonnée, séduits par la brillante perspective offerte à leur fille, se plièrent de bonne grâce à tout ce que les fripons exigeaient d’eux, et il résulta de ce stratagème une escroquerie à leur préjudice d’une somme de 1.068 francs — soit quelque 7.000 € actuels — pour port de lettres timbrées, tartes, gâteaux et pâtés consommés par le soi-disant amant (lequel ne trouvait à son goût que les délicatesses préparées par sa promise), ainsi que sommes d’argent prêtées pour qu’il pût, à l’insu de ses parents soi-disant opposés à cette union, financer le trousseau de sa dulcinée.

Mais à la longue, le bel amant n’arrivant jamais, Dieudonnée et ses parents soupçonnent une supercherie. Ils exigent du couple d’escrocs le remboursement des sommes déjà dépensées ou avancées. Acculé, François Desomberghs, le mari de la cartomancienne, signe une reconnaissance de dette pour éviter le pire. Il s’engage à rembourser le montant indûment perçu par des apports échelonnés. Après avoir versé 5 francs pour lesquels Mme Fraiquin signe quittance, il parvient très habilement à falsifier le document en y ajoutant le mot « mille » devant « cinq ». Ce n’était pas son premier faux en écriture : il avait également falsifié l’extrait du registre matricule des sous-officiers d’infanterie qui lui avait été délivré, en substituant aux mots « et le certificat de bonne conduite lui a été refusé » la mention « et a reçu le certificat de bonne conduite ».

C’en est trop. Les Fraiquin portent plainte. Les trois escrocs sont arrêtés et écroués à la prison de Namur, à l’époque dans l’ancien Couvent des Capucins (à l’emplacement du Collège Saint-Louis actuellement). L’affaire est mise au rôle du tribunal de Namur en mars 1851. Le couple Desomberghs et le Marée de Velaine ne peuvent que reconnaître les faits. Le tribunal est présidé par une forte personnalité, François-Denis de Garcia de la Vega. Il a servi en tant qu’officier dans la garde d’honneur de Napoléon, puis dans la Compagnie dite de Wagram des gardes du corps de Louis XVIII. Rentré en Belgique au retour de l’empereur à Paris, il a rejoint la magistrature. Il en faut beaucoup pour l’impressionner.

Néanmoins, quatre audiences s’avéreront nécessaires pour entendre les parties civiles, les témoins et les prévenus. Elles ont toutes attiré une grande affluence de curieux. Le verdict du Tribunal est clair : les manœuvres frauduleuses des trois complices leur ont permis d’escroquer une partie de la fortune de la famille Fraiquin chez qui ils ont abusivement « fait naître l’espérance d’un succès chimérique ». Desomberghs est condamné à cinq ans d’emprisonnement, Marée à quatre ans et Joséphine Clément, la voyante, à trois ans. Bien sûr, ils doivent dédommager les victimes du montant total du préjudice qu’elles ont subi et s’acquitter des frais de justice. Pour la voyante, c’était décidément… mal vu !

Sources :

  • L’Ami de l’Ordre, 28 janvier, 1er février et 9 mars 1851.
  • Biographie générale des Belges morts ou vivants, Bruxelles-Leipzig, 1849.
  • Archives de l’État à Namur, tribunal correctionnel de Namur, Fonds ancien, cote J86.

Le recueil des minutes des jugements du tribunal correctionnel de Namur de 1851.

Le bas de la minute manuscrite du jugement portant la signature des magistrats.