Rencontre croisée entre Muriel Charon et Démosthène Stellas
Avec l’arrivée de l’Enjambée et l’idée d’une fresque sur le mur pignon de la Villa Balat est née une nouvelle collaboration : la vôtre. Comment celle-ci s’est-elle construite ?
Démosthène Stellas :
Par ouï-dire, c’est une connaissance commune qui nous a mis en relation. Cette personne sait que je suis au taquet depuis quelques années dans la région pour essayer de peindre un mur. Quand elle a entendu parler de ça, elle m’a dit « Ah bien justement, à la Villa Balat, ils sont intéressés par une fresque » et comme moi j’habite à 150 m à vol d’oiseau, on s’est croisé ! J’avais un petit carnet avec moi et on a discuté de la maison, des envies de Muriel et puis j’ai cogité et on s’est revu quelques fois. Le projet s’est construit autour de Balat et du côté un peu organique et végétal.
Muriel Charon :
On n’habite pas loin l’un de l’autre. C’est parce qu’au départ j’ai aussi une sensibilité pour tout ce qui est artistique aussi non je ne serais jamais tombée sur la personne qui nous a mis en relation non plus… J’ai rencontré Démosthène et ça a collé tout de suite. On a parlé de l’histoire de la maison, du fait qu’elle était attribuée à Balat. Il y a un autre voisin qui habite à 200 m de chez moi et qui est aussi intéressé par la réalisation d’une fresque qui m’a dit que la ville de Namur avait des budgets pour les fresques.
Comment s’élabore un projet de fresque urbaine sur une demeure si chargée d’art et d’histoire telle que la Villa Balat ?
Démosthène Stellas :
Par la réflexion. Quel que soit le projet, il faut y réfléchir beaucoup avant de trouver une piste qui tienne la route. Donc, j’ai cherché, j’ai fait pas mal d’esquisses et d’essais. Déjà pour décomposer le principe de la phrase [Citation utilisée par Alphonse Balat« Simplifiez, simplifiez encore, et quand vous aurez simplifié, vous n’aurez pas encore assez simplifié »] et l’appliquer à la peinture, j’ai expérimenté et cherché. C’est une réflexion constante à partir du moment où il y a un projet qui se met en place, il faut le retourner dans tous les sens pour trouver des voies adéquates. Il y a un moment où ça ressemblait plus ou moins à ce qu’on avait discuté donc je l’ai soumis à Muriel et puis on a fini ensemble.
Muriel Charon :
Ce qui est facile, c’est que je peux tester directement ! J’ai pas mal de gens qui défilent ici, de tous les âges, de toutes les nationalités et je leur montre. Je vois si ça passe ou si ça ne passe pas. Et les avis sont unanimes : super ! Il faut dire qu’il y a du sens derrière, même toute une philosophie. Il y a un pourquoi, il y a un comment et il y a du lien.
Nous connaissons, Mme Charon, votre affection pour l’histoire de l’art, la nature et la valorisation des artisans du coin. Aussi, relativement à ce projet de fresque, comment s’est opérée en vous cette ouverture vers l’esthétique du Street Art et le travail de M. Stellas?
Muriel Charon :
C’est du feeling… Des personnes m’ont déjà dit « On ne fait pas un truc comme ça sur une maison comme ça ! Jamais je ne ferais ça sur une maison comme ça. Tu es folle ». Mais c’est ma personnalité et je suis sûre que Balat l’aurait fait. Aussi, dès le départ, cette maison-ci est une maison qui est dédiée aux artistes et à l’art. Les gens me disent quand ils viennent ici que ce n’est pas une maison comme les autres. C’est ce que je veux faire passer comme message et ça doit aller jusqu’à l’extérieur. Et ce que les gens aiment bien, ils me le disent tous, ce sont tous les détails qu’il y a ici. Et les détails ça doit aller du salon jusque dans la chambre, la salle de bain, le jardin et maintenant, je vais jusqu’à l’extérieur des murs… Je ne pourrais pas aller plus loin, je crois.
Membre du collectif Drash, la multidisciplinarité artistique est un leitmotiv à votre processus de création artistique. Comment s’exprimera-t-elle au travers de ce projet ?
Démosthène Stellas :
Ici, cette interdisciplinarité ne s’exprimera pas spécialement car c’est de la peinture pure et dure. En fait, le projet a été attribué au nom du collectif qui est un collectif multidisciplinaire qui touche à tout ce qui est image, que ce soit image imprimée, image fixe ou en mouvement. Moi, je chipote à tous ces domaines-là, mais la racine de tout ce que je fais, c’est quand même la peinture. Le subside sera attribué à l’asbl Drash, mais pour la réalisation, ce sera moi et l’un de mes collègues avec qui je peins fréquemment.Le projet se travaille sur ordinateur mais il s’agit de peinture monumentale et il n’y a pas d’autres techniques à mélanger. Le projet est purement un mix de peinture au silicate appliqué au rouleau et au pistolet airless et tous les détails seront faits au spray. Par le fait que la façade n’est pas lisse, que ce sont des briquettes, si je travaillais au pinceau, ça doublerait tout de suite le temps de travail, et donc aussi le budget avec la location des nacelles qui correspond déjà à une grosse partie de celui-ci. Par souci d’efficacité et parce que c’est l’outil que je maîtrise depuis 20 ans maintenant, ce sera un mix de peinture et de graffiti.
Pourriez-vous nous expliquer votre projet de fresque, l’origine des traits plastiques et la symbolique qui y sera inscrite ?
Démosthène Stellas :
C’est la réflexion autour de Balat, qui est assimilé à la maison, et du lieu dans sa globalité, que ce soit l’eau qui passe à côté ou l’intérieur de la maison et sa situation.
Il y a également à l’origine le travail macrophotographique de Blossfeldtet ses Essentielles, dans la partie inférieure gauche, de facture réaliste. Le travail de Blossfeldt a servi d’ouvrage de référence dans toutes les écoles d’art déco, pour toutes des petites moulures, toutes les formes qu’on voit qui sont inspirées de la nature même. Et donc, c’est grâce au travail photographique de l’artiste qui a pu les partager lors de ses cours que les gens ont pu justement partir de quelque chose de réaliste pour arriver à des ferronneries qui sont simplifiées.
Ensuite, il y al’introduction de l’élément propre à Balatinspiré des Serres de Laeken. On crée en arrêtes tous les volumes pour leur donner un peu de légèreté.Et puis troisièmement, je vois ça plus comme du croquis à la japonaise, ce sont juste des traits placés qui font que le cerveau travaille un minimum pour construire le reste de l’image. On comprendra assez simplement que ce sera la continuité de ce qu’il y a en dessous, mais si on isole la partie du haut, on ne pourrait pas spécialement comprendre ce que c’est. Ce serait plus suggéré qu’illustré.
Donc, dans le processus de simplification, on part de quelque chose de très réaliste et puis il y a cette partie centrale qui est simplifiée, qui reste mi réaliste mais simplifiée, pour arriver à quelque chose de suggéré dans la troisième partie. C’est en lisant l’ensemble de la pièce que l’on comprend qu’elle en fait partie.
Muriel Charon :
On a réfléchi sur les couleurs aussi. On a mis du vert d’abord parce qu’il y a la Meuse. Ce sont des verts vert de gris, vert clair, vert pastel… Le vert est une couleur qu’on employait pas mal début 1900. Si vous voyez aussi toute la période Art Nouveau, il y avait pas mal de tons vert, vert clair, vert d’eau. C’est un petit peu dans cette idée-là. Ce sont des tons assez pastels, finalement.
Démosthène Stellas :
C’est aussi lié à la peinture qui va être utilisée qui est une peinture minérale, au silicate. Et les teintes qui existent dans ce type de peinture sont très organiques, naturelles. On aura jamais un jaune fluo ou un rose punk , ça n’existe pas.
Pourquoi insérer la citation employée par Alphonse Balat « Simplifiez, simplifiez encore, et quand vous aurez simplifié, vous n’aurez pas encore assez simplifié ». Qu’avez-vous envie d’évoquer avec celle-ci ?
Muriel Charon :
Avec mon mari, nous voulions qu’elle ressorte d’une manière ou d’une autre au niveau de la fresque. Mais ce n’est pas évident de la traduire… C’est une phrase à laquelle Balat tenait pas mal aussi, qu’il a vraiment dite et redite à ses élèves jusqu’au bout. A l’époque actuelle, on veut toujours plein de choses, encore plus, toujours plus et toujours trop. Et en fait, on voit qu’aujourd’hui les gens veulent revenir à des choses plus simples, plus essentielles justement…Revenons à des choses simples. Dans tout.
Ce qui est également intéressant, c’est que quand on voit l’architecture de la passerelle, l’Enjambée, elle rejoint tout-à-fait cette idée de simplification car c’est une passerelle qui est toute simple. On fait, en plus, le lien entre une maison qui est du passé et une passerelle qui est beaucoup plus contemporaine. La fresque aussi est un lien entre le passé et le présent.
Démosthène Stellas :
La phrase va être concrètement inscrite, car sans elle, le sens de la pièce ne sera pas vraiment compris. Donc, c’est important qu’elle soit mentionnée. Aller vers les choses simples, c’est compliqué car culturellement, nous ne sommes pas habitués à cela. Entre les téléphones mobiles et les relations sociales Internet qui ne sont pas vraiment justes… Tout ça complique un peu les choses alors que ça pourrait être plus simple. Mais les gens ne savent plus se passer de tout cela. Revenir en arrière, c’est dur quoi !
Jusqu’à présent, ce projet est appelé « fresque Villa Balat ». Pensez-vous l’intituler autrement ?
Démosthène Stellas :
On verra… ce n’est pas vraiment ce qui me vient à l’esprit en général quand je produis quelque chose. Peut-être un passant va dire un petit sobriquet qui va rester…
Quel impact espérez-vous que cette fresque et le fruit de votre collaboration aient sur le paysage mosan, ses habitants et spectateurs ?
Démosthène Stellas :
L’idée était de faire une fresque unpeu complexe comme c’est un lieu de passage qui va être emprunté de nombreuses fois ; pour qu’il y ait quand même plusieurs lectures, que ça ne soit pas du genre une croix sur un mur. En passant plusieurs fois, on découvrira des petits détails à droite, à gauche. Mais s’ils pouvaient déjà intégrer le principe de base, à savoir la phrase en question, ce serait déjà pas mal, je crois.
Et puis permettre de poser les yeux sur la maison parce qu’il y aura quelque chose d’accrocheur. Les gens passent devant les choses sans vraiment les voir. S’il y a un petit crochet, ça aidera peut-être à constater…Mais personnellement, je n’ai pas d’attentes à part le fait de confronter les gens l’image. Après, ils en font ce qu’ils veulent. Mais ils ont néanmoins autre chose qu’une pub pour un abonnement de téléphone devant les yeux.
Muriel Charon :
Méditer sur la phrase. Mais ce qui est intéressant aussi,c’est qu’on a toujours vu la maison sans cette façade. On vient de donner vie à une nouvelle façade de la maison qui n’existait pas parce que c’était un mur aveugle. On a donné naissance à quelque chose de nouveau. Et puis faire quelque chose de beau et mettre le travail de Démosthène en valeur.C’est aussi mettre en valeur le patrimoine autrement.
On peut s’attendre à ce que des gens s’effrayent quand on parle de fresque urbaine…
Démosthène Stellas :
C’est en raison de cet amalgame entre ce qu’on nomme street art aujourd’hui et culture urbaine. La peinture monumentale ne date pas d’il y a 5 ans. Les muralistes mexicains étaient déjà là au début du siècle. C’est loin d’être nouveau. C’est juste que maintenant, on jette un peu les projecteurs dessus car c’est une façon de drainer le peuple et de toucher des électeurs. Ce sont souvent des initiatives politiques qui autorisent des fresques dans les villes. Même s’il y aura toujours de la peinture même sans autorisation car il y aura toujours des gens qui peindront. Et ceci même si la scène à Namur n’est pas exactement comme celle de Berlin où les gens font des projets immenses sans demander quoi que ce soit pour les faire. Ici, c’est plus compliqué que dans d’autres villes où ça se fait beaucoup plus facilement, avec moins de démarches administratives. Mais bon, c’est déjà un premier pas pour intégrer la peinture dans l’environnement…
Et sur la dynamique et la trame culturelle locale ?
Démosthène Stellas :
Moi, ça a toujours été dans mes intentions d’intégrer de la peinture grand format dans la ville. Premièrement parce que je trouve que c’est enrichissant pour tout le monde et deuxièmement parce que ça permet de modifier la routine visuelle qu’on a d’un endroit. Et que ça sert, notamment, de point repère pour les déplacements et les rendez-vous.
Muriel Charon :
C’est aussi un accès à la culture gratuit. Et avec cette fresque, culturellement parlant, on peut aller loin. En faisant référence à l’histoire, à la botanique, à l’architecture, … juste dans une fresque. Pour ceux qui veulent aller plus loin, il y a des liens. Si les gens veulent se documenter, c’est intéressant déjà avec une seule fresque.
Combien de temps va prendre la réalisation de la fresque et quel budget cela représente-t-il ?
Démosthène Stellas :
Il y a la préparation du mur qui va prendre au minimum deux jours et après il faudra une bonne semaine à deux. Souvent quand je peins, ce sont des grosses journées de 12 à 14 heures de travail. Le budget est quant à lui de l’ordre de 10.000 euros, ce qui n’est franchement pas beaucoup parce qu’une fois qu’on enlève le prix de la peinture et de la location desnacelles, il ne reste plus grand-chose.
Quelle a été l’évolution et le parcours du projet ?
Démosthène Stellas :
La première fois qu’on a envoyé le projet, on a eu un retour un flou de la Ville disant que ça n’était pas passé, mais sans spécifier vraiment les raisons. Donc, avec Muriel, nous avons pris les devants et on s’est arrangé pour rencontrer le SPW et avoir une discussion avec eux pour avoir un retour concret sur les raisons qui faisaient que ça bloquait. Parce que nous avons bossé sur le projet depuis des mois et qu’on nous a juste dit non et puis c’est tout. Donc, nous avons été sur place et on nous a dit que ce serait bien de marquer un peu plus le coin de la maison pour ne pas faire une espèce de tranche comme si on sciait la maison en deux.
Muriel Charon :
Nous sommes allés et nous avons donné tout l’argumentaire en expliquant les couleurs, l’histoire et nous avons remis plus de blanc à l’avant, tout en montrant des angles sur photos et alors, c’est passé autrement.
Démosthène Stellas :
Ce ne sont pas des situations auxquelles ils sont habitués. Eux, ils reçoivent des permis pour construire des escaliers de secours, une annexe à une maison mais une peinture, non. Aussi, ils ne jugent pas en fonction du contenu mais de l’ordre du pratico-technique et ici, ils voulaient juste que le coin soit marqué pour ne pas qu’il y ait un coin de maison avec un truc qui y ait été apposé. Et puis, pour garder un peu l’esthétique de la maison. Ils ne cherchent pas le contenu et la symbolique de tout le travail artistique, mais bien simplement la lisibilité du bâtiment et de l’architecture. La passerelle, elle, va arriver en plein milieu de la façade, au niveau de la fenêtre. La fresque ne sera pas visible dans son entièreté de loin et il faudra passer sur la passerelle pour voir l’ensemble. Même si c’est quelque chose de très aérien, ce sera quand même tranché !
La fresque Villa Balat est-elle votre deuxième fresque de cette envergure ?
Démosthène Stellas :
Pas vraiment, non. J’ai fait d’autres grands projets, mais ce n’était pas dans le même cadre. La fresque Villa Balat et Skills [sur l’Institut Technique Henri Maus] sont plus des intégrations par rapport à des lieux précis. Il y a une semaine ou deux, j’étais sur un projet de faire une grande peinture aussi, mais c’était plus dans l’esprit graffiti, une rencontre entre amis où on passe un weekend et on fait quelque chose de plus improvisé, où il n’y a pas autant de réflexion derrière parce qu’il n’y a pas d’intégration non plus. Donc, j’ai déjà la technique de peindre en grand. Ça fait 20 ans que je peins, donc ce n’est pas la première fois. Mais ici, il y a vraiment une intégration et c’est la deuxième fois, peut-on dire.
Ça vous plaît plus spécifiquement lorsqu’il y a intégration de la fresque murale dans un environnement précis ?
Démosthène Stellas :
Oui, c’est toujours plus intéressant quand il y a quelque chose derrière. J’aime bien réfléchir à des projets et les projeter en moi, en nous. De m’en nourrir avant qu’ils existent, c’est agréable. Sauf que pour des projets comme ça, il faut toujours de l’argent derrière, des moyens techniques et des autorisations qui font que ça n’est pas toujours facile à mettre en place.
Quand pourrons-nous apprécier le fruit de votre collaboration ?
Démosthène Stellas :
Il faut que le chantier de l’Enjambée soit terminé et que le sol soit stabilisé pour pouvoir amener une nacelle. Et là, il va commencer à faire froid pour travailler avec des produits et ce serait risqué. Il faut qu’il y ait au moins 5 degrés assurés. Et ce n’est pas la bonne période non plus à cause de la lumière, puisqu’il fait très vite noir. Donc, c’est prévu pour le printemps, mais il faut aussi attendre l’accord de budget.